Article Commenté
Plasma Frais Congelé en pré hospitalier


PFC en pré hospitalier

TRYBU Article Commenté :

"Prehospital Plasma during Air Medical Transport in Trauma Patients at Risk for Hemorrhagic Shock."

Sperry J et al. N Engl J Med. 2018 Jul 26;379(4):315-326. DOI: 10.1056/NEJMoa1802345

Publié le 16 Oct 2020 (Thibault Poirier - interne en anesthésie-réanimation au CHU de Rennes)

Le comité scientifique du TRYBU vous propose un commentaire de l'article de Sperry J et al. paru dans le N Engl J Med (New England Journal of Medecine) qui étudie l'utilisation du plasma frais congelé en extra-hospitalier et son impact sur la mortalité.

Question évaluée

L'utilisation du plasma frais congelé en extra-hospitalier diminue-t-elle la mortalité du patient polytraumatisé à 30 jours ?

Contexte de l'étude dans la littérature médicale

La stratégie de damage-control est désormais la prise en charge de référence du patient polytraumatisé civil ou militaire à sa phase aiguë. La lutte contre la coagulopathie est un des axes principaux de ce « damage control ressuscitation ». Ceci conduit à limiter le remplissage vasculaire par solutés blancs et favoriser la transfusion de produits sanguins précoces avec des ratios CGR/PFC élevés. Cette stratégie est largement appliquée lors de la prise en charge hospitalière. A la phase pré-hospitalière, seule l'utilisation de CGR est pratiquée et ce en grande partie pour des raisons logistiques. Il n'existe pas à ce jour de littérature évaluant l'efficacité du plasma en pré-hospitalier.

Type d'étude

Etude prospective, multicentrique, randomisée.

Population étudiée

Patients adultes traumatisés à risque de choc hémorragique à la phase pré-hospitalière. Le risque d'état de choc hémorragique est défini par un épisode d'hypotension associé à une tachycardie OU une hypotension sévère lors de la prise en charge initiale.

Méthode de l'étude

  • description du protocole :
    La randomisation se faisait par cluster de manière aléatoire. Les bases aériennes de secours participantes se voyaient attribuer aléatoirement au groupe « plasma pré-hospitalier » pour une durée d'un mois au cours de la période de déroulement de l'étude. Lors de cette période, les patients inclus bénéficiaient de l'administration systématique de 2 PFC avant tout remplissage vasculaire. En dehors de cette période, les bases aériennes participantes incluaient les patients dans le groupe contrôle Ces patients ne bénéficiaient pas de transfusion de plasma. La stratégie de remplissage vasculaire en cas d'instabilité hémodynamique était protocolisée et identique pour les deux groupes. La transfusion de CGR était laissée à l'appréciation des équipes médicales si elles en avaient à leur disposition.
  • critère de jugement principal :
    Mortalité à 30 jours.
  • critères de jugements secondaires :
    Mortalité à 24h, mortalité intra-hospitalière, volume de PSL transfusé sur les 24 premières heures, volume de cristalloïdes utilisé sur les 24 premières heures, ainsi que l'incidence au cours de l'hospitalisation des défaillances multiviscérales, du SDRA, du SDRA liée à la transfusion, des infections nosocomiales, ainsi que de la coaguloptahie à l'admission mesurée sur le ratio du TP et la thromboelastographie.

Résultats essentiels

Au total, 523 patients dépendant de 27 bases aériennes américaines ont été inclus dans l'analyse en intention de traiter modifiée. Les deux groupes avaient des caractéristiques comparables. La sévérité des patients étaient élevées (ISS moyen à 21 dans le deux groupes). La survie à 30 jours du groupe de patients recevant du plasma en pré-hospitalier était meilleure que celle du groupe de contrôle. (23% vs 33 ; p<0,03 ; IC : -18 à -1). Cette différence de mortalité est significative en analyse multivariée (24% vs 34%, odds ratio 0.62 avec IC 0,41 à 0,92). On observe la différence de survie dès les trois premières heures de prise en charge sur la courbe de survie de type Kaplan Meyer. L'analyse en sous-groupes montre également une amélioration de la survie pour les patients ayant bénéficié de la transfusion dès le lieu de l'accident mais aussi pour ceux ayant eu un temps de transport vers le trauma center prolongé. L'étude des critères de jugement secondaires révèle une mortalité intra-hospitalière à 24 heures plus faible dans le groupe « plasma pré-hospitalier ». La transfusion de produits sanguins labiles à 24 heures était moindre dans le groupe « plasma en pré hospitalier ». Après analyse multivariée, le seul critère secondaire statistiquement significatif est le ratio du temps de prothrombine, plus bas dans le groupe « plasma pré-hospitalier ».

Commentaires

  • Points forts de l'étude :
    Essai prospectif, randomisé, multicentrique et contrôlé avec un effectif de bonne taille et de bonne qualité méthodologique. Le critère de jugement principal est un critère robuste. Les critères de jugement secondaires sont pragmatiques comme le ratio du TP à l'admission au Trauma Center.
  • Points faibles de l'étude :
    L'impossibilité de réaliser une étude en double aveugle. En effet, le groupe de randomisation est connue de l'équipe médicale en charge du patient. Le masquage des PFC était impossible du fait des contraintes de traçabilité et de conservation des PFC.
    L'homogénéité de la population de l'étude pose question. En effet les patients pouvaient être inclus à la prise en charge pré-hospitalière mais aussi lors des transports secondaires depuis un établissement de santé vers un trauma center. Cette catégorie de patient pourrait avoir bénéficié d'une prise en charge initiale non comparable avec ceux inclus dès les lieux de l'accident.
    De plus, la gestion des données manquantes n'obéit pas à l'hypothèse de biais maximum et mais à une pondération de mortalité moyenne affectée aux patients dont le statut à 30 jours est inconnu.
    Par ailleurs, l'absence d'explication et surtout de documentation étiologique du mécanisme d'action des PFC n'est pas étudié (effet anti-inflammatoire ? impact sur l'hémostase ? impact sur le tonus vasculaire ?).
    Enfin, l'étude mentionne un nombre de cas non négligeable d'effets indésirables du PFC en pré-hospitalier avec notamment un cas de manifestation anaphylactique. La question de la sécurité d'administration du PFC dans ces conditions appellent à la vigilance.

Conclusion

L'étude de Sperry et al. semble prometteuse dans son ensemble, tant sur ses différentes qualités méthodologiques (échantillon de grand taille, protocole du bras contrôle) que sur le résultat final offrant une baisse de mortalité à 30 jours inédite. Les points qui interrogent sont la gestion des données manquantes et surtout l'absence de substrat physiopathologique à la thérapeutique évaluée. La question de la sécurité d'emploi de ces produits sanguins labiles est aussi soulevée par cet article. Le plasma pré-hospitalier devra probablement faire l'objet d'études plus robustes pour prouver son efficacité sur la mortalité et modifier nos pratiques cliniques.


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