Article Commenté
Hyperoxie en pré hospitalier


Hyperoxie en pré hospitalier

TRYBU Article Commenté :

"Early hyperoxemia is associated with lower adjusted mortality after severe trauma : results from a French registry1"

Baekgaard et al. Critical Care 2020 24:604. DOI: 10.1186/s13054-020-03274-x

Publié le 13 Nov 2020 (Arthur Tinelli - interne en anesthésie-réanimation au CHU de Rennes)

Le comité scientifique du TRYBU vous propose un commentaire de l'article de Baekgaard et al. paru dans Critical Care en 2020 qui étudie l'impact de l'hyperoxie préhospitalière sur la mortalité des polytraumatisés sévères.

Question évaluée

L’hyperoxie (PaO2 > 150mmHg à l’admission) est-elle associée à une augmentation de la mortalité intra-hospitalière chez les patients polytraumatisés sévères ?

Contexte de l’étude dans la littérature médicale

Chaque année, 5.8 millions de patients décèdent des suites d’un traumatisme. Cela en fait la première cause de mortalité chez les individus de moins de 45 ans dans les pays occidentaux. Les recommandations actuelles préconisent une lutte contre l’hypoxie pré-hospitalière chez les traumatisés sévères. Cela peut conduire à l’effet inverse, soit une hyperoxie à l’admission à l’hôpital2.
Or, il a déjà été montré que l’hyperoxie peut être associée à divers effets secondaires potentiellement graves notamment une vasoconstriction cérébrale et coronarienne, des effets délétères sur la fonction pulmonaire et une augmentation de la production de dérivés réactifs de l’oxygène3,4. Des études ont d’ailleurs déjà mis en évidence une association entre l’hyperoxie et la mortalité chez les patients de réanimation5.
A l’inverse, on peut suggérer qu’une suppléance large en oxygène pourrait avoir des effets bénéfiques expliqués par des éléments physiopathologiques tels que la compensation du déficit de transport en oxygène résultant d’un choc hémorragique ou encore l’oxygénation des zones de pénombres cérébrales secondaires à un traumatisme crânien.
L’association entre hyperoxie et mortalité reste donc à démontrer chez les patients traumatisés. Cette étude tente d’apporter une réponse à cette problématique.

Type d’étude

Etude multicentrique, rétrospective et observationnelle.

Population étudiée

Les patients traumatisés de plus de 17ans ayant une PaO2 à l’admission enregistrée dans la base de données TraumaBase entre 2016 et 2019 ont été inclus. Les patients hypoxiques (PaO2 < 60mmHg) ou récusés de la réanimation ont été exclus de l’étude.

Méthode de l’étude

  • description du protocole :
    Les patients ont été recrutés depuis une base de données prospective puis ont été classés en deux groupes en fonction de leur PaO2 à l'admission au déchocage : normoxiques (PaO2 60-150mmHg) ou hyperoxiques (PaO2 > 150mmHg). Un score de propension a été établi à priori à partir des variables suivantes : le sexe, l’âge, la fréquence cardiaque, la pression artérielle systolique, la température, le taux d’hémoglobine, les lactates, le recours à la ventilation mécanique, la présence d’un traumatisme crânien, le score de Glasgow, le score ASA et la présence d’un choc hémorragique. Ces caractéristiques ont été choisies car elles étaient significativement différentes entre les patients survivants et décédés à l’hôpital. Ce score de propension permet d’ajuster les résultats en fonction de ces potentiels facteurs de confusion.
  • critère de jugement principal :
    La mortalité intra-hospitalière a été choisie comme critère de jugement principal.
  • analyse en sous-groupes :
    La mortalité intra-hospitalière a été étudiée dans deux sous-groupes : chez les patients ayant un GCS<8 à la prise en charge et chez les patients sous ventilation mécanique.

Résultats essentiels

Entre 2016 et 2019, 5912 patients ont été inclus dans cette analyse.
Après usage du score propension éliminant les facteurs de confusion, l’hyperoxémie apparait comme un facteur protecteur de la mortalité intra-hospitalière (OR 0.59 [0.50 – 0.70], p<0,0001).
A l’inverse, l’analyse non ajustée sur ces facteurs identifie l’hyperoxémie comme un facteur péjoratif vis-à-vis de la mortalité intra-hospitalière (OR 1.31 [1.11-1.56], p=0,002).
Les analyses en sous-groupes ont montré une diminution significative de la mortalité en faveur de l’hyperoxémie dans le sous-groupe GCS<8 à l’admission (OR 0.69 [0.53-0.89], p=0.005) et chez les patients intubés (OR 0.62 [0.50-0.77], p<0.0001).
Ces résultats sont en faveur d’un bénéfice de l’hyperoxie chez les patients polytraumatisés et les traumatisés crâniens sans explication physiopathologique dans cet article. Chez le traumatisé crânien, plusieurs études antérieures établissaient que l’hyperoxie pouvait diminuer la pression intracrânienne et prévenir les dommages sur les cellules neuronales en zone de pénombre. Ces études n’avaient pas réussi en démontrer le bénéfice en terme de survie ou de déficit neurologique6–10.

Commentaires

  • Points forts de l’étude :
    Il s’agit d’une étude observationnelle sur un effectif de grande taille représentant une population de patients traumatisés de gravité conséquente. Plus de 50% de la population a un score ISS >15. La mortalité globale de cet échantillon est de 10%.
    Le critère de jugement principal est robuste et cliniquement pertinent.
    L’usage d’un score de propension permet d’ajuster les données sur de nombreux facteurs de confusion potentiels.
  • Points faibles de l’étude :
    Le design rétrospectif de l’étude implique un nombre important de données manquantes. En effet, le critère de jugement principal est absent pour 18% des patients. Les données manquantes ont ainsi dû être imputées par un système d’équations liées attribuant des valeurs aléatoires. Cette méthode est discutable. L’hypothèse du biais maximal aurait pu être effectuée afin de renforcer la puissance des résultats de cette étude.
    L’usage d’une seule mesure de la PaO2 à l’admission est un critère qui représente partiellement la prise en charge pré-hospitalière. L’usage d’un paramètre de surveillance continu enregistrable sur la totalité de la période pré-hospitalière serait probablement un meilleur reflet de l’oxygénation pendant cette période.

Conclusion

Cette étude nous encourage à penser que l’hyper-oxygénation des patients traumatisés semble être protectrice vis-à-vis de la mortalité intra-hospitalière chez le patient polytraumatisé. Cependant, le caractère observationnel et rétrospectif de l’étude, nous incite à interpréter ces résultats avec prudence. De nouvelles études prospectives ou randomisées nous permettront de confirmer ou non cette conclusion.

Bibliographie

  1. Baekgaard, J. S. et al. Early hyperoxemia is associated with lower adjusted mortality after severe trauma : results from a French registry. Crit. Care Lond. Engl. 24, 604 (2020).
  2. Monitorage du patient traumatisé grave en préhospitalier - La SFAR. Société Française d’Anesthésie et de Réanimation (2015).
  3. Cornet, A. D., Kooter, A. J., Peters, M. J. & Smulders, Y. M. The potential harm of oxygen therapy in medical emergencies. Crit. Care 17, 313 (2013).
  4. Damiani, E., Donati, A. & Girardis, M. Oxygen in the critically ill: friend or foe? Curr. Opin. Anaesthesiol. 31, 129–135 (2018).
  5. You, J. et al. Association between arterial hyperoxia and mortality in critically ill patients: A systematic review and meta-analysis. J. Crit. Care 47, 260–268 (2018).
  6. Bulte, D. P., Chiarelli, P. A., Wise, R. G. & Jezzard, P. Cerebral perfusion response to hyperoxia. J. Cereb. Blood Flow Metab. Off. J. Int. Soc. Cereb. Blood Flow Metab. 27, 69–75 (2007).

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